En marge

Un trentenaire décide d'expier ses mauvaises pensées. Pour ça, il écrit, va au bar et se rend parfois en thérapie. Car après tout, ce qui est dit au cabinet, reste au cabinet.

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Par Nicky Deparzki
15 juil. · 15 mn à lire
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Je t'aime, bah moi non plus

"Le plus intelligent de tous, à mon avis, c'est celui qui au moins une fois par mois se traite lui-même d'imbécile." Fiodor Dostoïevski

Signalement : 

yeux bleus, 
cheveux dorés, 
alsacienne, 
de sexe féminin, 
âgée entre 35 et 41,
prénom Z

Portée disparue depuis deux jours. 


1.

Ça fait un bail que toi et moi échangions. Des textes, des voix qui s'entremêlent en appels, nos regards qui se croisent en pixels.

Toi, t'es une artiste, t’as un sourire, un vrai, franc et espiègle. T'es belle, rayonnante et t'en as marre de cette foutue ville de Paris. Tu me dis que tu vas partir, loin, dans la Creuse y construire un établissement pour génies créatifs. Ça me parle.

T’as du charisme, une voix qui porte, t’es dégoûtée des amours de merde et des déceptions, t'as tout pour t'incruster dans le cœur du mec hypersensible que je suis même si ces derniers temps, en années, j’ai l’impression d’avoir perdu cet organe pourtant vital.

Je ne ressens plus grand chose depuis un moment.

On ne se connait pas toi et moi. Je ne sais donc pas comment tu fais, mais chaque putain de mot que tu dis me percute. T'es pas du genre à garder les choses pour toi, et j'aime ça, ton partage, cette confiance que tu me donnes au fil de tes confessions.

La cadence de nos mots s'accélère, nos échanges s'épanouissent, nous parlons d'avenir, de rêves inavoués. Tu te prends à me demander, pour vérifier, si j’avais bien compris que ta vie n’était pas à Paris et que tu voulais une progéniture rapidement. J’ai du te répéter qu’effectivement, j’avais bien compris.

Je ne pense pas à ce deuxième point habituellement, du moins, pas déjà. Mais là, ça ne m’effraie étrangement pas d’y penser. Ça y est, je déraille.

On se raconte un tas de trucs, tu me racontes des tas de trucs qui me parlent. Y a des conneries que j'aimerais te dire mais que je retiens, on se connaît à peine et j'ai déjà pas envie de me retrouver déçu.

Toi, tu ne sembles pas sur la même réserve, ça me fait tout drôle.

Pour toi, notre rencontre, tu la vois comme un truc complètement dingue qui pourrait même changer ta vie. Je commence à y croire bien que je connaisse les emballements de l’époque. Tu me dis alors que t'as pas peur de me présenter rapidement à tes amis si ça venait à se concrétiser, ce que t'as jamais envisagé avec ton dernier ex.

Je n’ai rien demandé, je me sens un peu spécial, c’est une superbe sensation.

Notre âge à peu près commun me fait dire que tu sais de quoi tu causes, que t’es pas du genre à prodiguer des paroles en l’air.

Je juge ta tête bien sur tes épaules.

Je m’abandonne donc à la croyance. On se voit, nous n’avons plus le choix.


2.

Le jour de la rencontre a lieu. Je prends le train et écoute du Elton John pendant les 1h22 de transport qui nous séparent.

Me voilà, dixième quai de la Gare du Nord, dans le dixième arrondissement de Paris, dix-neuf minutes avant la dixième heure de la journée. 

Il y avait foule ce matin là mais je n’ai vu que toi. 

Manteau beige, jeans bleu, baskets blanches écologiques et des viennoiseries primées dans les mains. T’avais aussi un masque de chien sur la tête.

C’était la première fois qu’on se voyait. J’ai néanmoins immédiatement su qui t’étais et compris ce que tu serais pour moi.

Je n’avais jamais serré dans mes bras une femme ornée d’un masque canin rencontrée pour la première fois dans une gare. 

Il y a un début à tout. 

Une fois démasquée, ton visage m’apparaît en 3D, 16k, 4DX.

La magie opère une deuxième fois.

Tes yeux sont bleu lagon bora bora, ton sourire ? Tout autant. J’y suis très sensible et malheureusement, ici, il s’agit certainement de l’un des plus majestueux que je n’ai jamais vu de ma vie. 

J’appelle la commission européenne, nous avons affaire à un cas de concurrence déloyale.

Assez rapidement, je me demande ce que tu fous ici, à m’attendre, moi. Tu ne sembles pas te poser cette question. Je ne vais pas chipoter.

Nous prenons alors le métro en direction de ton bureau, qui est un atelier.

T’es une artiste. Tu conçois des décors et univers pour des marques de luxe. Si vous apercevez une décoration magnifique dans un magasin, pouvez en être sûr : c’est le travail de cette femme.

J’aimerais me rappeler de nos premiers mots, du chemin parcouru jusqu’à ton lieu de travail.

Aucun souvenir, black out total.

Tout ce dont je me souviens, c’est que tu as ramené le soleil à l’intérieur de la gare du nord et de la ligne 4 du métro parisien.

25 minutes après mon arrivée, me voilà lavé, plié et repassé.

Ton atelier est situé tout près de mon ancien appartement parisien, pas vraiment le genre de lieu que j’ai envie de revisiter même si j’en garde de bons souvenirs. Je ne souhaitais néanmoins pas revenir ici.

Nous y voilà quand même. 

Une fois la porte franchie, tu refermes derrière nous à clés. “Faudrait quand même pas qu’on vole les Segway qui se trouvent à l’entrée, ça nous est déjà arrivé” me glisses-tu.

Effectivement.

Tu me fais alors visiter ton bureau, tes outils de travail. Le lieu est très coloré, à la croisée des chemins entre Glups et La Grande Récrée.

Après le tour du propriétaire, nous nous installons à table. Je remarque encore plus ton absence de demi-mesure.

Le show continue donc avec un déjeuner royal. Viennoiseries auréolées accompagnent un plateau de fromages, une ouiche lorraine, une salade de fruits, des jus et un tas de choses complémentaires.

T’as pensé à tout, t’es simplement dingue, tu ne le sais pas encore mais ta bactérie m’a contaminé.

La matinée passe à une vitesse de la lumière. Nous avions 4h de prévues. Elles sont passées en 10 minutes.

Je dois repartir pour la Normandie rendre visite à mes parents et à mon petit frère Nagui, que je n’ai pas vu depuis 2 mois.

Il m’attend, lui aussi, avec impatience.

Au moment de te quitter, je te saisis dans mes bras. Je ne sais pas encore si je te reverrais.

Je l’espère fortement, mais à vrai dire, j’en sais pas grand chose et ça ne dépend pas de moi.

Je franchis la porte, me dirige vers l’ascenseur. D’un coup, j’entends un cri, c’est toi, tu t’affoles et sprintes vers moi, un paquet à la main, que tu me transmets.

Je me sentais déjà con de ne rien avoir amené et voilà que tu me martyrises encore plus avec un cadeau.


3.

C’est certainement la raison pour laquelle j’ai failli monter dans le mauvais train une fois à la gare.

Heureusement, les portes sont closes. Le transport part sans moi.

J’allais râler, je m’aperçois alors que le train que je dois prendre est en fait sur le quai d’en face.

Je monte dedans, m’installe à la place 42 du wagon 8, environ.

J’ouvre mon sac pour connaître le contenu de mon présent. Le petit paquet est délicatement emballé, faudrait pas l’abîmer.

Un petit mot à l’intérieur m’indique que “c’est ici que tout a commencé”.

Directement dans mon coeur.

Je regarde en dessous et saisis le présent. Il s’agît d’une petite boite de câpres.

Je ne saisis pas tout de suite le sens. En analysant la boite, je comprends qu’elle provient d’une petite boutique du 13ème arrondissement, où je t’ai croisée sans le savoir des semaines avant mon départ.

Les mots me manquent.

Mes merdes commencent.

J’ai gardé ce cadeau jusqu’à aujourd’hui, ainsi que l’emballage et le ruban. Tout est intact.


4.

Ça n’est pas le cas de mon cœur, d’un coup devenu un putain de feu de forêt incontrôlable, foutant en l'air chaque foutu espoir et rêve que j'avais pour nous.

Moi qui avais l’impression de ne plus en avoir depuis des années.

J’aurais dû rencontrer une femme chien avant.

Pendant quelques heures, je m’englue dans l'obsession. Je dissèque chacun de tes messages, chaque putain de mot, chaque putain de seconde qu'il te fallait pour me répondre.

Je ne suis pas en colère, non, simplement fou et effrayé de ne pas t’avoir plu au moins autant que toi tu m’as séduit.

C’est quand même super con d’être esclave de ses propres émotions de merde.

J’arrive en Normandie, je suis là, mais en réalité, je suis ailleurs, dans cette diabolique spirale qui durera 3 jours sans réellement profiter de mes géniteurs et de mon adorable Nagui.

Mon cerveau, que dis-je, mon cœur, sont terrifiés d’être dans le corps d’un médiocre. Ils ont pris le dessus, putain de bordel de merde.

Je décide de t’en faire part, avec une humilité coupable, tu vois.

Et toi, tu sais pas trop comment répondre, t’es pas hyper à l’aise, je le sens. T'exerces alors une petite pression aimable pour que j'arrête de déconner.

Je sens que la chaleur de nos conversations précédentes a baissé d’un cran, mais c’est normal. Ça ne pouvait pas être à ce niveau éternellement.

Je suis quand même interloqué.

Deux jour avant, tu m’as fait une scène similaire mais inversée. J’avais alors pris le temps de te dorloter et de rajouter un nuage de lait.

Bon, je m’invente encore des problèmes, j'suis capable d’être un vrai con.

Pendant trois jours, j’essaye de piger ce qui m’arrive. À peine compris, il est temps de revenir à Paris.

Tu m’as alors dit qu'on pouvait se voir plus rapidement que prévu, avant le weekend, qu'on devait quoi qu’il arrive passer ensemble.

Je suis comme un fou.

On se voit alors, à Station F, lieu de merde en passant, j’aurais du te dire que je le déteste.

J’aurais pu accepter de te voir dans un égout cela dit.

On a alors parlé.

Je t'explique qui je suis, avec mes merdes et mes grotesques cicatrices de débiles.

Tu sembles réceptive, plus que par message et téléphone, tu m'embrasses.

On se quitte ensuite pour rejoindre nos amis respectifs.

Quelque chose a changé entre nous. Ce baiser scelle notre destin.

Je rejoins mon ami dans mon ancien pub. On picole, beaucoup, je lui raconte l’histoire. On picole, beaucoup.

Une Asiatique un peu salope et surtout bourrée, venue avec ses potes pour un anniversaire paraît-il, tourne autour de notre table.

Elle me dit que je sens bon. Je sens bon.

Elle me dit que je suis plutôt beau. J’en sais rien.

Elle me demande si je suis homosexuel. Pas jusqu’à présent.

Elle me demande un tas de trucs dont mon numéro avant de partir. Je lui dis que je suis marié.

Je rentre dans mon château du jour pour dormir.

Dans la nuit, texto. C’est toi. Tu me dis que je peux venir passer le weekend chez toi si je veux.

Il y a peut-être une chance pour que cette rencontre survive à ma connerie.


5.

Je débarque donc dans ton domaine le lendemain, à Pantin, en provenance de Boulogne-Billancourt, avec mon gros sac et je parle pas de mon scrotum.

Tu m'accueilles vêtue de jeans denim, du pantalon à la chemise. Première fois que je te vois sans artifice, sans maquillage.

T’es quand même vachement superbe.

On s'envoie une bière, tranquille. Je ne sais pas de quoi on parle, sûrement de la prise de pouvoir des intelligences artificielles et du déclin de la démocratie. On trinque néanmoins, certainement à la gloire de ce moment.

Il commence à faire faim. Le programme du soir est de déglinguer une bonne pizza.

Ce programme s’appréciera à juste mesure.

Mais t'as envie de te faire belle avant. Tu vas alors mettre du rouge à lèvres et là, je te le donne en mille, t'es encore plus belle.

On part. C’est à la Massara, pizzeria dans le 3ème arrondissement qu'on connait tous les deux qu’on se rend.

Nos fantômes y séjournent certainement encore.

On avait pas réservé, parce qu’on peut pas réserver pour deux à la Massara, pizzeria dans le 3ème arrondissement.

On part sur nos classiques respectifs. Je me rappelle qu’il y avait de la truffe sur la tienne, de la pistache et du porc sur la mienne.

Que ma grand-mère d’obédience me pardonne.

On bouffe comme des cochons, les bases d’un week-end culinaire sont là.

Pour rentrer, on décide de faire une partie du chemin à pieds. C’est un putain de long chemin, il fait froid et les coins traversés sont considérés comme des no go zone par CNEWS.

Tu me racontes que t’as vécu là, et là aussi. Que tu n’es pas vaccinée. Ah. Bon, je dis rien, tu fais bien ce que tu veux.

Tu m’expliques alors qu’une fois, t’as réservé un des ponts que nous venons de traverser pour fêter l’anniversaire d’un ex que t’as largué 4 jours après. Nickel.

On finit en métro.

Une fois chez toi, on se brosse les dents, petite douche et au lit.

On se parle un peu, on se regarde dans les yeux, beaucoup.

On se prend la main, on se sert dans nos bras. Premier contact physique de la soirée.

On fait l’amour, c’est notre première fois. Tu as joui, ou très bien simulé. Moi, je n’ai pas pu. Le retenue fut trop forte et répétée, le mécanisme n’a plus répondu ensuite.

Je ne te mets pas au courant de cette non info me concernant, on s’endort.


6.

Lendemain matin, brunch maison. Des pleurotes et des crêpes faites à base de lait de coco et de pois chiche.

Il y a plein de fromages, charcuterie et autres gourmandises. Je vais finir obèse sans que tu connaisses mon poids de forme, tant pis.

Une fois le buffet englouti, on se lance dans des jeux de société. Tu gagnes chaque partie. Peu importe le jeu.

Je me sens con. Je ne veux pas passer pour l’idiot du village, comme si ça avait une importance.

On file alors à la sieste et on finit par faire l’amour à la place.

Le soir, c’est moi qui organise.

Direction un restaurant de jazz que j'adore, à Saint-Germain des Près.

Je l’ai choisi avec soin. Seules celles qui comptent ont pu m’y accompagner.

Toi, je te connais pas, même si je te connais déjà un peu, tu vois ? Pas sûr.

Table en première ligne du concert, c’est la soirée que j’ai choisie de passer avec toi. Entrée plat dessert, on est comme ça. T’as un pull blanc en laine, t’es putain de belle, mais je l’ai déjà dit.

Pour détendre une ambiance relax, tu me racontes toutes les histoires sur tes ex, pendant une large partie de la soirée. Comme si j’avais envie d’en parler ce soir.

Bien qu’impressionné par leurs divers pédigrées financiers et professionnels, je me dis que ce sont tes ex, qu’ils ont eu leur chance et jusqu’à preuve du contraire, ils ne sont plus là et finito.

Je ne peux également néanmoins pas m'empêcher de me dire que je serais différent, celui qui briserait le cycle, celui qui te montrerait quelle l’heure il est.

On est rentré, on n'a pas baisé. On a juste dormi, ensemble, collés. C’était quand même une super soirée.

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