En marge

Un trentenaire décide d'expier ses mauvaises pensées. Pour ça, il écrit, va au bar et se rend parfois en thérapie. Car après tout, ce qui est dit au cabinet, reste au cabinet.

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Par Nicky Deparzki
30 juil. · 7 mn à lire
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Bienvenue chez vous

"Si tu crois que l'aventure est dangereuse, essaie la routine, elle est mortelle. " Paulo Coehlo

1.


Me voilà arrivé, bien là, planté comme un idiot heureux dans cette foutue gare. J’épluche la foule, à la recherche d’un visage pourtant inconnu, celui d’un chauffeur censé venir me cueillir, m’extirper, m’amener vers mon nouveau lieu saint. J’essaie de le deviner parmi chaque personne que je croise. Sans succès. 

Mes deux valises sont comme un boulet, ma sueur tape à la porte de ma peau. Mon exaspération dégouline progressivement mais sûrement. Autour de moi, ça bouillonne d'activité, de vie. 

Tout est en mouvement. Moi, je fais ce que j’ai toujours eu l’impression de faire dans ma vie : j’attends.

Le jeu de cache-cache avec le chauffeur de taxi prend quand même fin après une demi-heure au mieux agaçante. Mon serviteur est là, un petit bonhomme contradictoire, à la fois rond et cubique, qui me raconte avoir garé son bolide de fer et de gasoil à l'extérieur de la gare. Il me demande de le suivre vite. Enfin du mouvement, peut-être trop d’un coup.

Dehors, le ciel pleure sa peine, les bâtiments ont le charme d'un pneu. Je ne me demande pourtant pas ce que je fous ici.

Je rentre dans son char motorisé, le confort d’un véhicule allemand est indiscutable. Il connaît déjà l’adresse, je lui ai donné. Il me lance une question d'usage : "Vous revenez de voyage ?". Je lui dis que non, mon véritable voyage commence ici.

S’ensuit un jeu de questions - réponses unilatéral. Je lui explique que je viens de Paris, la ville que j’aime le plus au monde mais aussi celle qui a cru bon de faire naître chez moi l’idée de me barrer. C’est sûrement ça, l’amour passionnel, un amour comme on n'en fait plus, ou comme on en fait trop, je ne sais pas.

Lui aussi y a vécu et comme beaucoup d'autres, il s'est également tiré. Maintenant, il roule sa bosse depuis une vingtaine d'années dans ce pays qui est le mien pour les six mois à venir.

Désireux de me montrer l’heure qu’il est, il me met tout de suite au parfum de la situation locale : ici, le gâteau est coupé en deux entre les wallons et les flamands. Je feins de savoir qui sont les hollandais et les français, je n’arrive jamais à m’en souvenir. Heureusement qu’il est là pour me le rappeler.

Je comprends alors assez rapidement au ton de sa voix qui est qui et qui fait quoi dans ce pays. Les Flamands sont les Thénardier de cette turne, ils possèdent à peu près tout, les plus belles choses, y compris une langue débile. Les Wallons dans tout ça ? Considérés par les flamands comme les petits cousins attardés des Français. Le merdier semble sucré sachant qu’ils sont également peu en vue de notre côté.

Quoi qu’il en soit, malgré les nombreux enseignements et la volonté d’accueil, le trajet est interminable. Plus tard, je réaliserais qu’il n'a pas duré plus de 15 minutes. J'avais sûrement hâte d'arriver dans mon nouveau château.

En regardant par la vitre, je remarque que le ciel est bas, la lumière rare. Ici, le bleu est gris.

Le climat est aussi merdique qu’un cul post Poppers, mais ça n’est pas une surprise. Dans cette grisaille, je discerne néanmoins l'esquisse et la chaleur des lieux que je m’imagine déjà fréquenter. Je me vois déjà en train de boire une bière en scrutant les passants, me faisant accoster par les perles du pays que je séduirais par mon goût de l’aventure et ma plume unique en son genre même si je n’ai jamais vraiment écrit. Je repère même quelques bars que je me promets d'essayer. Deux ou trois, pas plus. Je n’aime pas trop les surprises, ni m’éterniser. J’aime être glissant, savonneux. C’est tout moi, le mec fuyant, qui a toujours su flairer la merde pour partir au top du sommet, histoire qu’on le regrette, que personne ne perçoive ses failles. Deux explications à ça :

  1. Je suis un parfait connaisseur de mes frontières.

  2. Je suis un rat qui quitte le navire par manque de confiance.

Peut-être les deux. N’empêche, il n'y a pas un seul instant où j'ai regretté de m'être fait la malle.

On arrive enfin chez moi, chaussée de Bondael, mon terminus. Comme un couperet qui tombe, il se met à pleuvoir. Un crachin sinistre, pas franc du collier, suffisant néanmoins pour transformer les rues en boue. Mes chaussures blanches sont donc un choix parfait pour l'occasion. Je n'ai de toute façon que des souliers blancs, comme un signe de défi envers la crasse de ce monde. J’ai vomi dans ma bouche en écrivant cette phrase.

Le chauffeur descend, il sort mes valises et se barre, sans un regard en arrière, me laissant seul dans la pluie et la boue. Je traîne alors mes bagages sur les pavés, les roues se coincent, se salissent au contact de cette terre boueuse. Dire que j'ai acheté ces grosses merdes cinq jours avant d'arriver, les voilà déjà souillées par ce pays encore plus en travaux que moi.

J'arrive devant la porte, ma porte, une belle porte, environ 3 mètres de hauteur, une porte imposante et bleue gendarmerie nationale. Je sonne, pas de réponse. Je tente un audacieux appel, toujours rien. Mon texto finit par débloquer la situation. La porte imposante bleue gendarmerie nationale s'ouvre.

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